Le contemplateur est différent de l’esthète.
La contemplation est au-delà de l’état passif. Elle traverse l’éveil sensoriel pour sentir au-delà…
La contemplation, un espace fondamental d’expériences qu’on ne peut manquer derrière le grand tournant écologique :
La contemplation est la grande laissée pour compte dans une société dont les énergies sont centrées sur le profit et sur les besoins de sécurité. La contemplation semble toujours comme un luxe spirituel que nous nous autorisons à vivre seulement quand il nous reste du temps, mais ce temps, le monde professionnel n’a de cesse de le rendre inaccessible par toutes sortes d’urgences et d’obligations prépondérantes. Notre temps de vie privée ne lui donne guère plus d’espace. Dès lors, notre quotidienneté devient un tunnel qui se resserre sur nous, un garrot sur notre déploiement sensitif.
Lorsque nous méconnaissons la contemplation, nous nous en faisons une idée très lointaine et évasive, comme d’une disposition passive, béate, voire mystique ; disposition incongrue devant les sollicitations pressantes du quotidien comme devant toutes raisons utilitaires. Si nous ne l’avions pas à ce point oubliée dans notre vie, la contemplation pourrait nous paraître insolente d’inutilité. Il lui faut presque l’alibi religieux pour se justifier. Et encore, le mode religieux actuel valorise bien plus l’action fraternelle que la méditation solitaire de l’ermite. Ainsi, sauf dans quelques sursauts qui en ont justement pris conscience, même dans le monde des croyants, la contemplation semble être mise au grenier. Quelle connaissance expérientielle les religions ont-elles de la contemplation ? et en particulier de la contemplation de la nature ?
N’est-ce pas une question qui frappe en plein dans une carence à l’heure où l’on s’alarme de dégradation écologique de notre Terre ?
Ce qui peut sans doute différencier l’approche poétique de la contemplation de l’approche religieuse en général, c’est que la seconde vit plutôt entre le mystère et la croyance, quand la première vit davantage entre le mystère et la question ; question au bout de laquelle il n’y aura jamais de réponse absolue, mais qui donne vie à l’inspiration…
St Bernard disait « Crois en mon expérience, tu trouveras quelques chose de plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les rochers t’enseigneront ce que tu ne peux apprendre d’aucun maître ». Etre poète donne envie de reprendre la même phrase texto, mais simplement changer « maître » par « science ».
Il y a aujourd’hui nécessité d’une contemplation qui ne soit pas seulement assimilable à une vague propension du tempérament qui ne modifierait jamais notre système économique. La contemplation doit être désormais reconnue comme un art, une science, un art de vivre travaillant le développement de la sensibilité humaine en cohésion avec tous les équilibres écologiques de la Terre. A ce titre, elle doit être culturellement soutenue et devenir une référence professionnelle…
Les facultés contemplatives de l’être humain sont sujettes à la même vulnérabilité que la nature menacée. Il est difficile de les raviver aujourd’hui. La stupeur assourdie des gens qui doutent de plus en plus de l’avenir et se recroquevillent, l’agitation mentale croissante, les divertissements en nature à tendance consumériste, l’esthétisme qui est devenu à « 90% » l’appât du commerce, tout cela anesthésie le fond sensible des êtres humains, et un artiste qui tente de raviver les prédispositions contemplatives, sent plus que jamais la chape peser sur nos germes de sensibilité.
Si nous sommes dépourvus de sens contemplatif, pourrons-nous préserver la nature qui nous reste, permettre sa résilience notoire là où elle a été beaucoup dégradée, trouver de nouveau une relation harmonieuse avec elle, une direction créative de nos vies qui lui redonne valeur ?
Bien sûr que non.
Et pourtant, nous répondons aux problèmes de l’écologie en laissant la contemplation à la porte des décisions, comme si jamais elle n’avait droit d’entrée dans le professionnalisme.
Une telle disposition, très machinale, témoigne de l’énorme ignorance que nous avons de ce qui peut se passer en maturation de sensibilité derrière le simple mot « contemplation ».
Contempler est la base fondamentale, non plus d’une société de consommation, mais d’une société de maturation. Seule la croissance de cette dernière, est vraiment humanisante et écologiquement compatible.
J’en appelle, à la création de rencontres, d’échanges, d’évènements culturels, de réseaux vivants, pour s’apercevoir que la contemplation n’est pas loin d’être une orpheline culturelle, dans les arts, les religions, les philosophies, les sciences naturalistes ; situation dont on prend d’autant plus vivement conscience que nous comprenons par l’expérience vécue tout ce qu’elle peut induire en maturation de sensibilité en nous.
Son importance est quand même pressentie, mais nous savons donner peu de contenu en témoignages forts au mot « contemplation ».
Pourtant, là se tient une clé pour sortir d’un certain absentéisme de sensibilité en l’humain face à une dégradation de la qualité de vie, de la qualité du Vivant et même du non-Vivant…
Bernard Boisson