Gestion forestière

Gestion forestière : l’arbitrage et les choix sont-ils justes ?

 

Quel discours officiel sur la gestion forestière ne s’est pas arc-bouté sur le préambule : la forêt a trois fonctions : une fonction économique, une fonction sociale, une fonction écologique ? Toutefois, si cet énoncé entend prendre appui sur une introduction consensuelle, une question qui suit est : comment place-t-on les curseurs entre le degré d’économie, le degré de social, et le degré d’écologie ? Là on sort du seul pragmatisme qu’on voudrait faire croire pour rentrer dans une gestion qui peut aussi être idéologique. Dès lors, ce n’est plus l’objectivité exclusive d’un angle de vue économique  qui prévaut mais une maturité de choix entre plusieurs réalismes distincts sur l’état de la forêt. Là s’introduisent les divergences de vues. Ensuite, en regard des fonctions économique, sociale, écologique, devons-nous penser des oppositions, donc des cloisonnements fonctionnels : c’est-à-dire du champ d’arbres exclusif, du parc forestier exclusif, de la réserve de chasse exclusive, de la réserve naturelle exclusive… ou bien des forêts de synthèse multifonctionnelle ? Comment penser la répartition entre la mono-fonctionnalité et la multifonctionnalité dans les 16 millions d’hectares de forêts françaises ? Là encore, il y a un arbitrage politique reposant sur une multitude d’acteurs. Les mono-fonctionnalités dans la gestion forestière seront l’expression des spécialisations professionnelles qui se cloisonnent et ne savent pas se mûrir dans l’interdisciplinarité. La multifonctionnalité dans la gestion forestière sera davantage le reflet de la maturité interdisciplinaire de notre société. On constate aujourd’hui que lorsqu’une supposée « objectivité » de technocrate prévaut sur une maturité globale de conscience, la forêt-écosystème n’est permise que bien en deçà de son importance réelle ; la forêt-patrimoine est bradée sur du court terme raccourci, au profit de la forêt-capital et uniquement capital.

Nous sommes en train de gravement manquer la gestion de la forêt française comme reflet de notre maturation collective. L’attention actuelle du public et les questionnements sagaces de la presse restent encore très largement déficitaires. Cette déficience donne toute impunité à une gestion réductrice de la forêt selon des logiques économiques étrangères aux logiques du vivant et au ressourcement humain. Demain la conscience du public ne se réveillera-t-elle pas dans des paysages appauvris sans aucun accord avec son évolution de conscience ? En ce sens, nous devons être avertis car les erreurs se payent en décennies, voire en siècles.

Aujourd’hui, ce qui semble le plus déficitaire, c’est l’assimilation de la naturalité forestière en tant que pôle de référence pour inspirer différemment la fonction économique de la forêt et la fonction sociale. La gestion forestière actuelle de l’ONF est principalement à fondement unipolaire. Ce pôle est une gestion du vivant selon une méthodologie industrielle qu’il faut discerner de la gestion économique. En effet, celle-ci dans son optimisation peut connaître différents modèles de gestions possibles, dont des modèles non-industriels qu’il ne faut pas croire inférieurs en rendement et en avantages divers. Dans une fonction unipolaire comme la sylviculture à caractère industriel, la fonction sociale et la fonction écologique se retrouvent souvent sanctuarisées dans des espaces confinés, acquis en termes de concession, et bien moins en termes optimisés d’intégration et de conjugaison. Généralement, elles n’ont guère de chance d’être sauvées sans lobbying fort, ce qui pour le moins n’est pas équitable.

Depuis le Grenelle de l’Environnement, derrière le slogan forestier du « produire plus tout en préservant mieux » qu’avons-nous gagné ? On remarque une très nette montée en puissance du « bois-énergie ». N’est-on pas en train d’opposer « une écologie » des énergies renouvelables sous bannière de « développement durable » à une écologie plus spécifiquement forestière : celle qui demande à ce que des écosystèmes sylvestres puissent tout simplement exister dans leur complétude et libre évolution ?… Quand on observe sur la durée la gestion de l’arbre, du bocage et de la forêt… on observe des retours en arrière sur erreur dans des décisions technocratiques initialement très convaincues. Cela s’observe sur des cycles de 30 à 40 ans environ, à savoir par exemple les subventions européennes pour restaurer le bocage en France après sa destruction par le remembrement, ou bien vers le Portugal pour détruire les forêts d’eucalyptus après avoir financé leur plantation massive dans la décennie 80… N’allons-nous pas avoir un même scénario avec les impacts écologiques du bois-énergie et toute la perte qualitative du paysage ? On a toujours l’impression dans la durée qu’une ingénierie comptable liée à la sylviculture reste trop confinée dans son orthodoxie méthodologique. Elle semble être devenue mentalement vieillissante tant, toute la maturation de conscience dans un champ interdisciplinaire plus vaste lui échappe. Des élus ne se montrent pas plus avertis. Jusqu’où, jusqu’à quand ce scénario où la planification atteste un déficit en vision ?

Bernard Boisson.

Article rédigé pour la revue « Canard Sauvage » des JNE (Journalistes-Ecrivains de la Nature et de l’Environnement) en vue du colloque sur le même thème qui a eu lieu à Paris, le 11 février 2011.

 

« Futaie régulière monospécifique » d’eucalyptus au Portugal.